Apostolos Doxiadis

Jean-Michel Kantor – La Recherche (in French)

Enfin un livre qui parle de science et qui se dévore comme un roman policier – un roman policier mathématique. C’est un récit plein de charme et de suspense qu’a écrit Apostolos Doxiadis, homme de théâtre et industriel grec formé aux mathématiques. Il raconte la vie agitée d’un vieux professeur et de son neveu, tous deux passionnés de mathématiques. Depuis un échec amoureux, vécu dans l’Allemagne des années 1930, l’oncle Petros consacre sa vie à la poursuite de son Graal : la démonstration de la «conjecture de Goldbach ». Dans une lettre du 7 juin 1742 à son célèbre confrère Leonhard Euler, Christian Goldbach émit en effet cette hypothèse : tout nombre pair est la somme de deux nombres premiers…

Depuis la victoire de Wiles-Taylor sur le théorème de Fermât, la conjecture de Goldbach est certainement la question mathématique la plus simple et la plus célèbre restant à démontrer. L’intrigue se noue autour de la monomanie qui guette le chercheur trop isolé. Le regard ironique et tendre de Doxiadis sur la pratique sociale des mathématiques met en scène l’ascétisme du chercheur, son nécessaire orgueil et l’aventure collective qu’est devenue aujourd’hui la recherche, même dans une science sans paillasse, ni équipement onéreux.
Il se crée un suspense original autour d’un thème qui n’est pas absurde: celui de l’éventuelle impossibilité – conséquence du théorème de Gödel – de résoudre la conjecture de Goldbach. Doxiadis parvient ainsi à faire des mathématiques le personnage central du drame. Le lecteur voit aussi un peu de l’intérieur comment fonctionne le cerveau du mathématicien, ses rêves, ses associations mentales. Les aventures du professeur Petros en Allemagne et en Angleterre sont l’occasion d’évoquer plusieurs figures célèbres; entre autres celle de Kurt Gödel auteur, en 1931, du théorème d’incomplétude, celle d’Alan Turing, l’un des pères de l’informatique ou celle de Godfrey Hardy, spécialiste de la théorie des nombres qui se vantait que ses travaux ne pourraient jamais avoir aucune application – la cryptographie de la fin du siècle lui apportera un démenti complet.

La lecture de ce petit livre est donc instructive (malgré une traduction souvent erronée) et amusante. Elle aurait sans doute plu à Goldbach et à Euler… Mais cela, c’est une autre conjecture !

March 1, 2001: Jean-Michel Kantor – La Recherche

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